Des élevages intensifs de poulets bio dans un océan de maïs transgénique.
> Un mauvais film de science fiction ? Un cauchemar ? Non. Il s’agit du nouveau paysage du Sud-Ouest de la France que préparent les techniciens de la coopérative agricole Maïsadour.
Voici dix ans, un article du Monde diplomatique intitulé « Main basse sur les produits bio » provoquait un certain émoi
(1). On y apprenait, entre autres, que la multinationale Novartis, très impliquée dans la promotion du maïs transgénique, possédait depuis des années la société Soy, spécialisée dans la
production de produits bio à base de soja. En pleine période de lutte contre les OGM, la question du boycott de la marque se posa un temps, mais les intérêts commerciaux eurent le dessus. Novartis a revendu peu après la société à une banque hollandaise qui l’a cédée à un milliardaire
japonais…
Novartis n’en a pas perdu pour autant son influence au sein de la bio. Syngenta – filiale de Novartis qui gère désormais toutes ses activités agro-chimiques – est actionnaire à 40 % depuis 1999 du groupe Maïsadour Semences, présent dans plus d’une trentaine
de pays et dont l’une des activités phare est le développement et la commercialisation des semences OGM (2). Elle y est associée avec
Maïsadour, la puissante coopérative agricole des Landes, très présente dans l’élevage de poulets « bio »
industriel depuis le début des années 2000. L’objectif d’alors était de répondre à la commande d’une chaîne de supermarchés anglais.
Aujourd’hui, ce sont les promesses très rentables du marché français qui pousse Maïsadour, ainsi que bien d’autres puissantes coopératives agricoles, à convertir les agriculteurs aux vertus de
l’élevage de poulets « bio ».
En Aquitaine, la coopérative landaise livre une concurrence farouche à Terres du Sud pour occuper la première place dans la
production de volailles « bio ». Pour le moment, chacune ne travaille qu’avec quelques dizaines d’éleveurs et livre chaque année sur le marché entre 700.000 et 800 000 poulets « bio ». Mais
Terres du Sud prévoit de multiplier par trois la production en deux ans tandis que Maïsadour pousse ses producteurs à produire toujours plus : l’un d’eux est passé à une production de 50.000
poulets « bio » à l’année. Pour recruter des éleveurs « bio », une coopérative fait appel à des agriculteurs en difficulté en leur
promettant des revenus aguichants. Elle leur fournit clé en main tout le matériel et les bâtiments nécessaires pour l’élevage. L’investissement – environ 200 000 euros – est facilité grâce à ses services financiers qui propose au futur éleveur des crédits remboursables sur
20 ans. Ceux-ci sont tenus par contrat à n’utiliser que les poussins livrés par la coopérative, à lui acheter tous les aliments pour ses volailles, à ne se servir que des traitements qu’elle
lui propose et à livrer toute sa production à son abattoir et à son usine de conditionnement. Les directives des techniciens de la coopérative sont les seules à devoir être appliquées. Les prix
d’achat des œufs et des poulets ne sont jamais fixés à l’avance et dépendent de critères qui échappent totalement à l’éleveur. La
docilité de ce dernier est garantie par son endettement auprès de la coopérative. Il s’agit là d’un pur modèle d’intégration généralisé dans les élevages intensifs conventionnels.
La nouvelle réglementation européenne en place depuis le 1er janvier 2009 facilite le développement de ce « bio » industriel. La taille des
élevages ne connaît pas de limites. Seuls sont limités les nombres de volailles par bâtiment mais pas le nombre de bâtiments… Des dérogations permettent aux agriculteurs « bio » d’utiliser des traitements chimiques ou
conventionnels. Tous les poussins livrés
aux éleveurs par les coopératives sont ainsi vaccinés. La nouvelle réglementation n’impose plus à l’éleveur de respecter le lien au sol et de produire sur sa ferme une partie
des aliments pour ses volailles. Il peut désormais les acheter dans leur totalité auprès des coopératives.
Ces aliments « bio » peuvent contenir 10 % d’ingrédients non bio et jusqu’à 0,9 % d’OGM… La plupart des éleveurs en contrat avec les coopératives ne savent pas ce que contiennent les aliments
qu’ils donnent à leurs volailles…
L’alimentation animale est aujourd’hui l’un des produits « bio » le plus rentable, grâce aux spéculations que permet le marché international. Le soja, source principale de protéines, est l’un des principaux composants de ces aliments. Mais en France, les surfaces cultivées en soja bio
diminuent d’année en année (6500 tonnes produites en France alors que les besoins sont de 20.000 tonnes) car ce soja demeure trop cher pour les coopératives. Elles se sont un temps approvisionnées en Chine. Mais coup dur pour le marché : en 2008, une substance très
toxique, la mélamine, a été retrouvée dans le soja «bio» chinois importé par Terrena pour les élevages « bio » de l’Ouest de la France. Depuis, les coopératives sont très discrètes quant à leurs fournisseurs de soja « bio ». Beaucoup
achètent du soja cultivées sur d’immenses fazendas «bio » de plusieurs milliers d’hectares dans l’Etat du Mato Grosso, sinistré
par la destruction massive de la forêt amazonienne. D’autres coopératives agricoles françaises trouvent leur bonheur sur le marché
italien qui servirait de plate-forme à du soja en provenance des pays de l’Est. Dans ces pays, de grandes
sociétés européennes, notamment françaises, achètent à bas prix
des terres vendues par les petits paysans qui ne peuvent intégrer leurs cultures aux normes européennes. Elles créent ainsi d’immenses exploitations destinées à des monocultures de
céréales ou de soja « bio ».
La transparence n’est pas de mise au sein de ce bio-business. Les coopératives agricoles, alliées aux
puissants groupes de l’agroalimentaire et de la chimie, peuvent y tailler de nouveaux empires et y prendre discrètement le pouvoir. Le principal organisme professionnel
d’Aquitaine, Arbio, est aujourd’hui dirigé par des responsables de Terres du Sud et de Maïsadour. L’Institut national des appellations d’origine (INAO) qui est chargé en France de l’application de la réglementation européenne est dirigé par Michel
Prugue… président de Maïsadour.
En matière de plantes génétiquement modifiées, Maïsadour Semences est convaincu de l’intérêt de cette technologie. Par conséquent, un laboratoire de marquage moléculaire a été mis en place
et
des relations solides ont été établies avec les différents partenaires fournisseurs d’évènements génétiques de dernière
génération. Cela permettra d’être en mesure de proposer des versions converties des hybrides phares de la gamme aux utilisateurs qui le souhaiteront. (in « Les solutions transgéniques
» sur
www.maisadour-semences.fr. Le 8 avril, Maïsadour et Terrena,
son alter ego dans l’Ouest basé à Ancenis (Loire-Atlantique), ont annoncé
le regroupement de leurs
activités volaille dans une nouvelle entité, baptisée « Fermier du Sud-Ouest », détenue à 51 % par la première et à 49 % par la
seconde. Cette nouvelle entité produira 29 millions de volailles par an, dont 17 millions sous label.
Philippe Baqué
> Ecrivain, journaliste, réalisateur, scénariste. Il est notamment l’auteur des documentaires « L’Eldorado de plastique » (2001) sur la mer de plastique d’Almeria et « Le
beurre et l’argent du beurre » (2007) sur les ambigüités du commerce « équitable » à travers la filière du beurre de karité.
Maïsadour
> - Chiffre d’affaires : 1 milliard € (semences, agrofournitures, céréales, nutrition et productions animales, légumes, jardineries)
> - Résultat 2009 : + 11,3 millions €
> - 3 263 salariés
> - 8000 agriculteurs
Notes :
> 1- Chantal Le Noallec, « Main basse sur les produits bio », Le Monde diplomatique, mars 1999.
> 2- Dans l’Etat brésilien du Parana, en octobre 2007, une milice armée contractée par Syngenta a assassiné un militant du Mouvement des sans terre (MST) qui occupait en compagnie d’une
centaine d’autres agriculteurs des champs de recherche OGM de la société suisse.