Et si on s'en inspirait....

Publié le par Gérard

LE MONDE | 17.08.09 | 15h15 


Il y a des communes où l'on veut garder son bureau de poste, d'autres son boulanger, son médecin ou même son curé. Mouroux, 4 700 habitants, veut avoir "son" agriculteur. Un maraîcher, plus précisément, qui fournira fruits et légumes de saison, plutôt bio et, si possible, bon marché. Elle croit l'avoir trouvé en la personne de "Christophe", comme tous l'appellent déjà sans pour autant le connaître.

Car pour beaucoup, c'est bien un comble de vivre entourés de champs dans cette Seine-et-Marne restée agricole, et de ne pas trouver de produits locaux. Des exploitants, il en reste une dizaine à Mouroux, mais ils alimentent le marché national, voire international. Pis, ces "indécrottables" polluent sols et rivières avec leurs produits chimiques, s'inquiètent leurs voisins.

L'idée de trouver un agriculteur à son goût vient de la mairie. "Il y a 4,5 hectares de terres en friche au centre de la commune et qui lui appartiennent, on s'est dit qu'on allait les prêter à qui voudrait les cultiver", raconte Jean-Louis Bogard, adjoint à l'environnement (sans étiquette) et commercial chez Orange. L'équipe municipale décide donc, en janvier, de proposer la création d'une Association pour le maintien d'une agriculture paysanne (AMAP), un partenariat entre des consommateurs, qui reçoivent des fruits et légumes toutes les semaines, et un agriculteur, dont le revenu est garanti par le préachat de sa production.

Lancé au Japon, adopté aux Etats-Unis, le système est victime de son succès en France. Les groupes de consommateurs doivent s'armer de patience pour dégoter un producteur. Surtout en Ile-de-France, où le foncier vaut de l'or. L'avantage, avec le prêt des terres, c'est que les choses seront plus faciles.

Informés par la presse municipale ou le panneau lumineux communal, 130 habitants sont venus à la première réunion, séduits par l'idée de consommer mieux. Apparemment, l'idée a fait son chemin. Au bord de la RN 34, qui relie Coulommiers à Paris et coupe le bourg en deux, Intermarché et Hyperprimeur viennent de se mettre à vendre du bio. Chez le second, dans la "barquette ratatouille", l'oignon vient des Pays-Bas, le poivron d'Espagne et les tomates du Maroc. "Ils n'ont pas compris notre démarche", persifle M. Bogard. Lui, veut du local. Il veut un agriculteur pour Mouroux.

Les céréaliers du village ont décliné sa proposition de cultiver les terres communales, puis le réseau AMAP a suggéré de contacter un lycée agricole bio. Deux candidats étaient partants. Mais Mouroux a vite déchanté. Avoir des terres ne suffit pas, il faut de l'argent pour investir dans les bâtiments et le matériel. Et il aurait fallu deux ans avant de pouvoir déguster le premier légume.

Or, désormais, les habitants sont pressés. Alors que la mairie s'apprêtait à procéder par petite annonce, certains ont pensé à Christophe. Ce maraîcher n'avait pas été contacté. Il habite Mouroux, mais ses terres sont à Coulommiers, à 3 kilomètres. Vendant sur les marchés, il hésitait à abandonner. Avantage de l'opération : il pouvait fournir, dès juin, une large gamme de produits. Inconvénient : il n'utilisera pas les terres de la mairie, il a ce qu'il faut.

Va donc pour Christophe. Mais Jean-Louis Bogard ne perd pas espoir : "Un jour, notre parcelle sera cultivée", lâche l'élu. Déjà, il pense préempter des terrains dans les bois, pour des vergers. Et voit loin : "Nous pouvons servir d'exemple. Des communes qui ont des terres, il y en a plein."

Parmi les "Amapiens", il y a Linda Hengy. Jamais elle n'avait entendu parler du réseau, mais aussitôt elle y a vu des similitudes avec sa "philosophie". "Au Canada, il y a des magasins de producteurs. En France, on trouve ça rétrograde, il faut que les mentalités évoluent", juge-t-elle.

D'origine algérienne, cette mère de cinq enfants a quitté la proche banlieue il y a cinq ans pour vivre là, à 50 kilomètres de Paris. Son mari est "responsable maintenance chez un sous-traitant de Citroën Aulnay". Les Hengy vivent chichement. Linda n'a rien d'une militante et, chez elle, il n'y a pas de bio à table - "une arnaque". En fait, elle veut seulement bien nourrir ses enfants et ne plus "être prise pour une imbécile". Jusque-là, elle achetait tout chez Leclerc. "Michel-Edouard parle beaucoup, mais il fixe les prix qu'il veut. Or ils ne dépendent pas des producteurs, mais de jusqu'où le client est prêt à aller", s'énerve cette abonnée à la newsletter de 60 millions de consommateurs.

Comme sa famille, celle de Nadia Ayadi-Boukrourou n'appartient pas aux privilégiés, du moins financièrement parlant. Ancienne directrice de la communication d'un groupe d'édition, cette jeune femme a arrêté de travailler en arrivant à Mouroux, après la naissance de ses enfants, il y a quelques années. Son mari, prof de maths, a décidé de ne plus dispenser que des cours particuliers. "On me dit : "T'es riche pour manger bio". Non. Mais je n'ai pas d'écran plat, ma télé a 15 ans et je pars en vacances dans ma famille !", énumère-t-elle. Chez elle, plus de plats cuisinés, quasiment pas de médicaments non plus, et une lecture régulière du Canard enchaîné, notamment pour ses articles sur les pesticides.

Son mari, pourtant, s'inquiète qu'elle s'engage à payer, même s'il n'y a rien dans le panier. "Quand il sera peu garni, j'irai compléter ailleurs sans rien lui dire", rigole-t-elle. Et elle sait que ce sera le cas s'il grêle ou s'il gèle. Le prix fixé est de 15 euros par semaine, pour 6 à 7 kilos de légumes, afin que le producteur gagne 2 000 euros brut par mois.

Sophie Lecoeur adhère à l'idée de lui garantir un revenu, mais veut en avoir pour son argent. "Je compte que cela me revienne moins cher que le marché, car tout le monde doit s'y retrouver", insiste cette professeure de vente en lycée professionnel. Surtout, elle veut du bio, rien que du bio.

Vu les attentes et les intérêts des uns et des autres, Michel Saint-Martin, le président de l'AMAP, sait que sa tâche sera difficile. C'est son expérience qui a poussé ce retraité à se présenter. Ce militant écologiste avait, un temps, cultivé un "jardin communautaire" avec des amis. "Moi qui suis là-dedans depuis trente ans, j'ai été surpris par l'engouement des gens. Je n'avais pas saisi la montée de la sensibilisation aux méfaits des pesticides, du besoin de contrôler ce qu'on mange et de s'impliquer", avoue-t-il.

Ce qui l'a séduit, aussi, c'est le "lien social". "Cette AMAP ne sera pas un groupe de copains bobos", dit-il calmement. Comme le projet est initié par la mairie, il y a un vrai brassage, même si, il faut le dire, les plus défavorisés et les plus aisés sont plus rares. La volonté de la mairie de réserver quelques paniers au centre communal d'action sociale le réjouit. Lui habite un hameau chic, Coubertin, havre de paix pourtant tout proche de la RN 34 fréquentée par 20 000 véhicules par jour.

Il sait bien qu'il va devoir refréner les enthousiasmes : déjà certains voudraient étendre le projet aux fromages, oeufs, voire à la farine bio pour faire du pain. Mais aussi les exigences : d'autres aimeraient que "Christophe" aide des jeunes à s'installer sur les terres communales, ou qu'il accepte une deuxième AMAP et ne produise ainsi plus que pour le réseau, donc exclusivement bio.

"Il y en a qui ne se rendent pas compte du travail que cela représenterait pour lui. Il faudra en discuter", prévient le président. En tant qu'ancien chef d'entreprise, il sait qu'il va falloir jouer serré pour que le projet soit viable. S'il proscrit le recours à certains produits chimiques, il ne dit pas non à tous, car il estime que le prix doit rester raisonnable et la récolte assurée.

Et Christophe, il en pense quoi ? "Cela va être sympa." Pas très bavard, timide peut-être, ce qui détonne avec les futurs adhérents, le maraîcher, la trentaine, imagine qu'il sera plus disponible pour sa famille. Il se réjouit aussi à l'idée qu'il n'y aura plus d'invendus, donc pas de gâchis. Si la greffe prend, dans un an, il arrêtera les marchés et se consacrera aux AMAP, "en plein boom".

Mais il lui semble évident que tout ne sera pas simple. "C'est un métier, pas du jardinage du dimanche. Je sais que certains risquent de ne pas m'aimer." Il sera à l'écoute, promet-il, mais il faudra aussi qu'on lui fasse confiance. Le bio ? "C'est cher parce que cela demande trop de main-d'oeuvre. Cela me dérangerait qu'il n'y ait que trois ou quatre légumes dans les paniers", dit-il, pensant aux moins aisés. Mais déjà il n'utilise quasiment plus de produits chimiques. L'aide des adhérents pour désherber, justement ? "Il faut être réaliste. Après une demi-journée une binette en main, ils auront des ampoules. Mais ils seront les bienvenus, il n'y aura pas de clé au portail." Le choix des légumes ? "Je ne ferai pas des panais pour cinq ou des navets pour dix, il faudra qu'ils s'accordent." Et s'ils veulent des asperges, il s'y mettra, mais ils devront attendre deux ans pour en obtenir en quantité.

Surtout, l'idée d'avoir à faire à une clientèle avertie le ravit. Il imagine qu'elle raffolera de ses salades abîmées, de ses tomates tachées et ne demandera pas de courgettes pour la soupe en décembre, comme sur les marchés. S'il ne pipait mot, il pensait très fort : "Autant rajouter de l'eau."


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